LA PLAGE ABANDONNEE

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Huile sur toile 80 x 120 cm 

C'était l'hiver. J'étais venue au tout début de janvier voir mes parents et passer une quinzaine de jours avec eux
pour les distraire aussi durant cette partie de l'année où les jours sont les plus courts,
les plages vides et tristes sur la côte et le froid plus intense.
Après les fêtes, l'ambiance est plutôt dans ces contrées à la mélancolie.
Les gens ne s'attardent pas dehors.

Quelques irréductibles, continuent à se promener vaille que vaille sur les sentiers côtiers ou sur le sable mouillé,
pour sortir le chien et s'aérer. Mes parents sont de ceux-là. Papa se ferait un peu tirer l'oreille pour sortir,
mais Maman veille à leur "balade de santé" quotidienne, quelque soit le temps.
On enfile bonnets, pulls, gants et vestes chaudes et on affronte le vent, la bruine, les bourrasques.
 Par chance parfois on goûte à un soleil bienfaiteur au début de l'après midi,
 avant qu'il ne faiblisse rapidement et tombe au dessus de l'eau en donnant au ciel des couleurs splendides.

Ce mois de janvier était particulièrement glacial...
J'avais emporté mon appareil photo pour immortaliser les plages désertes couvertes d'algues,
la lumière claire et basse sur l'horizon, et fragile aussi car menacée sans cesse par de gros nuages parmes et blancs.
Néanmoins, j'avais du mal à me résoudre à enlever mes gants pour prendre quelques photos.
Papa marchait déjà plus lentement à cette époque. J'en profitais pour faire quelques clichés,
et si je trainais un peu, il se retournait pour m'attendre.
On respirait l'air pur, on se disait que cela faisait du bien, mais aussi, cela piquait le nez et la gorge ....
Nos joues étaient toutes rouges et nos yeux pleuraient.

En longeant la plage du Men Du, on évoquait l'été... quand elle est bondée de monde
et que l'on s'amuse à rejoindre l'île par l'étroit cordon de sable découvert à marée basse au milieu de la baie.
Invariablement , on se racontait ce jour, où avant la naissance de Bruno, à une semaine du terme,
je m'étais retrouvée seule sur ces rochers éloignés, à la marée montante, gardienne de toutes nos affaires de plage : serviettes, seaux, pelles,
et quelque peu inquiète en ressentant quelques contractions, signes avant-coureurs...
Bernard et les ainés étaient en train de nager Dieu sait où ... 
Souvenirs des beaux jours...

Cet hiver là, après avoir supporté la froidure, on était bien contents de ré-intégrer dans un premier temps l'intérieur de la voiture,
puis de regagner la maison où l'on se faisait un bon thé pour se réchauffer, accompagné de quelques biscuits secs de La Trinitaine
ou d'une part de Kouing-aman qui compensaient alègrement les calories perdues ...
J'avais installé, dans la grande chambre où je dormais, mon chevalet
et je peignais le matin ce paysage dans lequel nous marchions l'après-midi.
La grande plage s'ébauchait au fil des jours...J'en vérifiais les couleurs à vif et de mémoire essayais de les reproduire. 

Le jour vint de mon départ.
Je repris un peu triste le train, un matin à Auray.
Deux jours plus tard, depuis notre villa languedocienne, je téléphonai en milieu de matinée pour avoir des nouvelles.
Au bout du fil Maman répondit avec difficulté, la voix étranglée par l'émotion.
On venait d'emmener Papa en ambulance.  AVC... Attaque cérébrale comme on disait avant...

Je refis le lendemain le trajet en sens inverse.
Les visites à l'hôpital remplacèrent les balades au bord de la mer.
Nous allâmes chaque jour Maman et moi tenir compagnie à Papa. Allongé sur son lit, il était paralysé du côté droit et ne parlait plus.
Longue galère...Rééducation... Persévérance...Courage...
Peu à peu, Papa apprit à remarcher. L'été suivant, il y parvenait en trainant un peu sa jambe droite et en s'aidant de deux cannes.

Nous allons encore ensemble de temps en temps faire quelques pas le long du rivage, moins loin, moins longtemps...
Nous ignorions, ce mois de janvier que ces promenades hivernales avaient tant de saveur,
que le froid était si bon, que de marcher côte à côte, c'était tout simplement le bonheur.
Nancy, ma fille eût un coup de coeur pour ma toile et souhaita ardemment que je la lui donne.
Chez elle, cette marine si nostalgique pour moi et si chargée de souvenirs fait l'admiration de ses amis.
C'est bien. C'est la vie qui continue... 

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